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SÉNÉGAL : L’Etat doit aller au-delà de la criminalisation du viol et de la pédophilie

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Aminata Libain Mbengue

Depuis janvier 2020, le viol et la pédophilie sont devenus des crimes au Sénégal, cela veut dire qu’ils sont enfin reconnus pour ce qu’ils ont toujours été : des meurtres psychiques. Mais cette criminalisation du viol et de la pédophilie ne suffit pas ! Par Aminata Libain Mbengue est psychologue clinicienne et féministe.

Ouvrir des lieux de prise en charge pour les victimes est aussi crucial que la reconnaissance de la gravité de ces actes. Subir des violences sexuelles, à n’importe quel âge, fait voler en éclats notre intégrité. Se reconstruire est une étape nécessaire.

Nous ne connaitrons peut-être jamais l’ampleur des violences sexuelles, mais nous sommes entourés de victimes. Il nous faut des lieux de prise en charge pour soigner les victimes de violences sexuelles, c’est une urgence absolue.

La justice ne guérit pas les traumatismes subis. Si la loi permet de qualifier, de nommer les faits, elle ne prend pas en compte la réalité des victimes dans un environnement social marqué par une « culture du viol »[1]. Ces idées reçues entretiennent une « confusion ». Le viol, ce n’est pas de la sexualité, c’est une effraction dans le corps et l’esprit de l’autre. Le viol n’est pas un « trop plein de pulsions incontrôlables », c’est une domination, une possession du corps des femmes. Et à cause de toutes les pesanteurs patriarcales, la majorité des victimes de violences sexuelles ne vont pas s’engager dans une démarche judiciaire bien souvent très re-traumatisante.

Combien y a-t-il de victimes de violences sexuelles silencieuses ? Parce qu’une parole libérée s’accompagne toujours de représailles. Combien pensent que ce qu’elles ont subi est un fait isolé ? Combien de victimes de violences conjugales continuent de subir parce que ces actes sont banalisés, parce qu’elles sont sous une emprise psychologique et/ou une dépendance économique ?

Il est inconcevable que des femmes, qui veulent partir d’un foyer toxique, soient bloquées avec leurs bourreaux parce que des hébergements alternatifs n’existent pas. Même si toutes les victimes ne vont pas porter plainte, toutes ont besoin de soins. Le Sénégal doit disposer de centres d’accueils et d’hébergements où les victimes peuvent recevoir des soins médicaux, psychologiques afin de se reconstruire.

Il est inconcevable que des femmes, qui veulent partir d’un foyer toxique, soient bloquées avec leurs bourreaux parce que des hébergements alternatifs n’existent pas. La justice ne guérit pas les traumatismes subis

Comme partout, les violences envers les femmes ont augmenté pendant cette pandémie du Covid-19. Les associations de défense des droits des femmes ont toutes reçu plus d’appels et de demandes que d’habitude. Ces associations font un travail remarquable sur le terrain, elles font face à la détresse des femmes tous les jours, mais elles se sentent démunies et abandonnées. C’est une responsabilité de l’Etat de prendre soin des victimes car les répercussions de ces violences sur la vie sont considérables.

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Les troubles post-traumatiques qui en découlent détériorent la santé mentale et physique sur de longues années. Une prise en charge précoce améliore la qualité de vie des femmes. Ces soins spécifiques réduisent les conduites dissociantes : les conduites à risques, les épisodes dépressifs ou anxieux, les troubles addictifs, les troubles alimentaires…

Il faut aux victimes, un lieu pour se poser, pour mettre des mots, pour décoloniser la mémoire traumatique. Certes, aujourd’hui, les voix se lèvent de plus en plus contre les violences subies par les femmes, mais nous n’y arriverons pas sans un dispositif national de prise en charge efficace.

Pour accompagner les victimes, il faut, dans toutes les grandes villes du Sénégal, des maisons d’accueil et de prise en charge, une ligne de soutien téléphonique, accessible 7 jours sur 7 et 24 heures sur 24. La charge financière des soins ne doit pas reposer sur les victimes, car elle constitue un coût supplémentaire qui fait renoncer beaucoup de femmes victimes.

Les violences faites aux femmes sénégalaises ne sont pas une fatalité ; les dénoncer ne suffit pas, il faut des actions concrètes : éduquer sur le consentement, déconstruire les préjugés sexistes, garantir un accès à la justice, former les forces de l’ordre à l’écoute des victimes et soutenir les associations financièrement.

[1] La culture du viol est l’ensemble des croyances et préjugés que nous avons sur les comportements des auteurs de violences sexuelles et des victimes de ces violences. Exemple : « les violeurs sont malades », « comment étais-tu habillée ? Pourquoi n’as-tu pas crié ? »

Aminata Libain Mbengue est psychologue clinicienne et féministe.

       

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