Home VOYAGE SÉNÉGAL – Le réalisateur sénégalais Maky Madiba Sylla à Quibdó en Colombie

SÉNÉGAL – Le réalisateur sénégalais Maky Madiba Sylla à Quibdó en Colombie

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C’est comme un carnet de voyage que nous livre le réalisateur sénégalais Maky Madiba Sylla à travers le récit qu’il nous a fait sur son voyage à Quibdó à 570 km de la capitale colombienne Bogota. C’est en Colombie, pays des histoires dont une partie est trempée d’Afrique que le producteur de film documentaire qui aime raconter les histoires à travers sa caméra, nous raconte la sienne dans ce pays qu’il découvre pour la première fois de sa vie. Son voyage s’inscrit dans le cadre d’un festival de film où il présente son dernier film documentaire “Laba Sosseh”.

Maky Madiba Sylla : Après quatre jours passés à Bogota, me voilà à Quibdó qui se trouve à 570 km de la capitale. Quibdó est une ville colombienne, chef lieu du département de Chocó. C’est l’une des principales villes du Pacifique colombien et un port fluvial situé sur le rio Atrato. Je n’avais jamais entendu parler de Quibdó de toute ma vie.

Cette invitation à venir présenter le film documentaire El Maestro Laba Sosseh dans un coin aussi reculé de la planète ne m’avait jamais effleuré l’esprit. À la différence de Bogota où il n’y a que très peu de personnes afro-descendantes, Quibdó est majoritairement composée de 90% de noirs. Je me sens étrangement en Afrique, mais pourtant à des milliers de kilomètres de mon continent.

Contrairement à Bogota, la 1ère chose qui frappe, c’est une pauvreté certaine, car c’est un endroit délaissé par les autorités étatiques. Il y a une seule université pour 300’000 habitants avec une population où les jeunes sont plus de 70%. S’il y a autant de personnes afros à Quibdó, c’est sans aucun doute à cause de l’esclavage. C’est une région agricole, mais aussi minière. Ma rencontre avec Bantú m’aura complètement bouleversé. Toute sa vie durant, il s’est investi corps et âme dans la conservation de la mémoire afro-colombienne.

Il a d’ailleurs ouvert le musée qu’il a fondé et me l’a fait visiter. Lors de cette visite guidée, j’y apprends que parmi les esclaves envoyés à Quibdó, il y en avait beaucoup qui venaient du Sénégal, du Ghana et du Congo. Bantú m’amène ensuite dans une pièce et me montre une statue en bois. Il me dit que c’est en l’honneur de Soundiata Keïta, l’empereur du Mali. Je lui réponds que c’est justement d’où je viens, du côté de ma maman qui est Bambara. Bantú a changé de nom pour renouer avec l’Afrique, la Terre Mère. Quand il parle de notre continent, il a les yeux qui brillent. L’émotion est à son comble quand il me demande de poser ma main sur cette statue et de méditer avec lui pour remercier les ancêtres d’avoir permis notre rencontre. Il m’indique que je suis seulement le 4ème Africain à visiter le musée.

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L’ambiance est lourde : tout autour de nous, se trouvent des objets qui racontent la cruauté et l’ignominie de l’esclavage ; des fouets, des chaînes, des piques, des boulets, des clous, de la ferraille et des instruments de torture nous rappellent l’horreur absolue subie par les miens. Bantú, toujours la main posée sur la statuette de Soundjata, entonne une chanson que chantaient les esclaves dans un dialecte que je ne comprends pas. Ses larmes coulent, les miennes aussi.

Nos regards se croisent, on s’enlace une nouvelle fois. Les populations afros qui vivent en Amérique latine sont les grands oubliés de notre histoire à l’exception peut-être du Brésil. On parle souvent des afro-américains, mais très peu de nos frères et sœurs du côté du Pacifique. De l’Argentine au Mexique en passant par le Panama, la Colombie et le Venezuela, ce sont des millions de noirs qui vivent complètement coupés du continent africain. 

J’espère qu’un jour on pourra avoir un grand festival qui va reconnecter les populations noires d’Amérique latine avec le continent originel. Qui sait : un jour peut-être… En tout cas, c’est le souhait de mon ami Bantú. Avant de nous quitter, il me tient la main et me demande si on se reverra de nouveau un jour. “Esta visita ha cambiado mi vida para siempre. Volveré como he prometido. Que los ancestros te bendigan.”

Je lui fais la promesse que, si Dieu nous prête longue vie, non seulement je reviendrai, mais je serai accompagné d’une équipe de tournage pour montrer au monde que Quibdó, l’autre Afrique, ne demande qu’à renouer avec sa douce moitié la terre mère d’Afrique. Adiós, hermano mío, amigo mío. / Koly Tenguela

       

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