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CÔTE D’IVOIRE – Toutes les nuits du monde : un spectacle qui vaporise les formes traditionnelles de la mise en scène

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Crédit photo : TROIS B

« Toutes les nuits du monde » a été annoncé sur les réseaux sociaux, tambour battant. Pour tout dire, cela a piqué ma curiosité.  Ce samedi 1 octobre, le spectacle a eu lieu, à dix-neuf heures, à l’Institut français d’Abidjan. Il a produit sur le public venu en grand nombre une impression excellente. Nous avons aimé et applaudi ce tableau vivant, ce spectacle du slameur-poète Placide Konan et du metteur en scène Alain Serge Agnessan.

Dussé-je déverser mon fiel sur ce spectacle, encourageons d’abord les organisateurs. Hormis d’humaines imperfections de détails, le spectacle a été bien monté et artistiquement présenté. Ce n’était pas qu’une pièce de théâtre, c’était mieux : de la musique, de la chorégraphie, du slam, un jeu d’acteurs qui éclate, comme des pétards, à belle hauteur et encore mieux ça racontait une histoire bouleversante. Et quelle histoire !

Lever de rideau. Un jeune homme sanglé comme un clodo apparaît. Débraillé, en désordre et revernir à l’alcool, il avance dans la nuit et commence à s’épancher : il entame un long discours ponctué d’accents puissants. On s’attarde sur son désordre vestimentaire qui fatigue par sa complexité. Il pleut une lumière sur lui. Le reste du décor, vexé, est caché dans la nuit. Il porte sur son front les séquelles d’un amour qui ne viendra plus. Il se nomme Ferdinand. Akissi, son amante, tourne et danse autour de lui, dans le vide. Il ne la voit pas. Il l’appelle, elle l’entend ; mais, il ne peut la voir. Comment combler ce vide soudain entre une morte et un vivant ? Comment joindre, aboucher à la perfection l’au-delà et l’ici ? Comment dissoudre deux noyés de densités différentes ? D’un côté comme de l’autre de la rive, deux êtres s’interpellent, sans jamais s’entendre, vraiment, ni se toucher réellement. L’humain n’est que solitude. Séparé, détaché, disjoint, il ne parvient pas au monde. Le monde, lui non plus, ne lui parvient. Alors que le temps a arrêté de courir sur l’un, il emporte l’autre. Il les entraîne sans jamais les unir, sans rompre l’isolement. Chacun tend la main à un rêve qu’il ne peut atteindre. Trouble du moi, attaque de panique devant son impuissance ; un clinicien pourrait y trouver un nouveau filon pathologique. 

Crédit photo : TROIS B

Placide, la mastodonte n°1 du slam. Un de ces monstres qu’Alain Tailly créa à quelques exemplaires, y joue le rôle de Ferdinand. Il écrit un poème à Akissi, rôle brillamment campé par la danseuse et chanteuse, Marcelle Kabran, sa bien-aimée dont il veut faire revenir à la vie. Ah! Cette Akissi ! Est-elle née un dimanche ou un lundi ? Quelle boule d’énergie ! Son utilisation de l’espace, les expressions de son corps valent des vers. On comprend le tourbillon de feu qui mange son âme. Est-ce dans le but d’éteindre ce feu dévorant qu’il boit autant ? Il projette de coucher sur le papier un poème qui va arracher sa bien-aimée des entrailles de l’au-delà. Vaine quête d’un homme splendidement isolé, comme tous poètes et qui commence le lent et inéluctable naufrage des damnés. Dans un décor sombre où s’entasse un rêve qui lui glisse entre les doigts. La démesure, – et c’est ce qui fait la beauté de ce spectacle -, est telle que Akissi parlant à Ferdinand dans un tête-à-tête n’a même plus conscience en vient souvent à ne pas savoir qu’elle est une âme éthérée, qu’elle est morte. Sa voix résonne comme un prêche dans une maison close. Ferdinand, je crois, se ment à lui-même. Il ne veut pas vraiment faire revenir Akissi. Il veut se sauver par l’écriture. La scénographie m’en bouche un coin. J’apprends qu’elle a généré par le même qui a fait la mise en scène du spectacle. 

Crédit photo : TROIS B
Crédit photo : TROIS B
       

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