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SOCIÉTÉ

SÉNÉGAL : VOIX DE FEMMES : L’immunité médiatique : un privilège masculin ?

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Qui a droit à une immunité médiatique ? L’information est-elle exclusivement masculine ?  Comment les représentations des femmes dans les médias contribuent-elles à accroître les inégalités entre les sexes et à imprimer dans les imaginaires féminins et masculins, une image dévalorisante des femmes ? 

La libéralisation du secteur audiovisuel et la recherche de buzz de la presse en règle générale accentuent les divisions entre hommes et femmes. Les médias se font de plus en plus le relais de discours violents et misogynes sur nos corps, nos attitudes, nos comportements et les valeurs que nous sommes supposées incarner et transmettre à notre progéniture. Cela se traduit par une essentialisation de la femme sénégalaise respectueuse d’un certain conformisme à l’image de femmes vertueuses dont la qualité est avant tout d’être mère, fille, sœur de personnages illustres de notre histoire. L’on subit l’instrumentalisation exaltée de leur abnégation, de leur soumission, de leur patience, de leur générosité, de leur dévouement qui n’aurait d’autre fonction que de rappeler les « déviantes » à l’ordre et légitimer la domination masculine, en perpétuant une identité féminine figée dans laquelle nous ne nous reconnaissons guère.

La plupart des médias, faits par et pour les hommes, offrent une représentation biaisée des femmes et passent sous silence les oppressions qu’elles subissent. On pense notamment à tous ces articles et émissions télévisées qui, lorsqu’ils décident d’aborder la question des violences faites aux femmes, reproduisent une analyse stéréotypée des situations, sans tenir compte de l’asymétrie du pouvoir entre hommes et femmes et en affichant clairement un parti pris qui perpétue le privilège masculin. Il faut également dénoncer toutes les émissions religieuses qui produisent, à foison, des discours réactionnaires sur les femmes ; celles dans lesquelles des animatrices interrogent des hommes et quelquefois d’autres femmes supposé-e-s savoir ce que les textes religieux prescrivent aux femmes, en matière de soumission à l’ordre moral masculin. Cet angle de traitement de l’information protège les hommes, avec en arrière-plan l’idée de comprendre leur vécu, sans jamais porter attention aux conséquences de la violence sur les femmes qui la vivent. Il leur est accordé d’office une sorte d’immunité médiatique permettant de les blanchir de tout péché. Rappelons-nous il y a sept ans, une affaire de viol avait défrayé la chronique. Un célèbre journaliste avait été confronté à une jeune femme qui l’avait accusé de viol. Cette affaire renforce ce dont nous parlons aujourd’hui. La quasi-totalité des journaux, radios et sites web avaient participé à blâmer la victime par une sorte de chasse aux sorcières mettant l’emphase sur la victime, en lui reprochant ses comportements jugés non conventionnels.

Quant au coupable après qu’il ait purgé une partie de sa peine de prison, il s’est refait une virginité médiatique. En effet, les médias à sensation mettent souvent davantage la focale sur la victime, en n’hésitant pas à détailler la vie et/ou les agressions subies, le tout accompagné de propos disqualifiants, voire diffamants. A cela s’ajoute une omission des mêmes détails sur les auteurs, leur offrant presque une anonymisation ou transformant certains auteurs de violences en victimes de l’hystérie féminine subséquente. Pour les victimes, le traitement par le buzz, la peopolisation ou la légèreté des termes employés pour parler de ces crimes et situations extrêmement graves par lesquelles elles sont passées ainsi que le sexisme systémique rajouté au sordide, constituent un traumatisme cumulatif. Traumatisme en chaîne, dans un contexte social qui, encore aujourd’hui, impute, aux victimes femmes, la faute de ce qu’elles ont subi. Tout ceci restreint les possibilités pour ces femmes de se relever de telles atrocités. Ce traitement médiatique est aussi désastreux et entravant pour les professionnels de santé, qui faute de pouvoir compter sur un système de prévention et des relais psychosociaux structurés et efficaces, se retrouvent à jouer les pompiers de situations fortement compromises du fait de ces traumatismes cumulatifs auxquels participent bien largement les organes de presse.

Sept ans après cette première affaire, où en est-on ? Le constat est amer. Entre un professeur de philosophie qui fait l’apologie du viol pendant une émission dédiée à la journée internationale des droits des femmes et une femme traitée de folle, car elle a osé parler d’une grossesse contractée hors des liens du mariage, l’on voit que la situation est toujours la même.

Les mobilisations autour des hashtags #Nopiwuma #Doyna #TontonSaïSaï #BalanceTonSaïSaï et plus récemment les sorties sur les réseaux sociaux de Ndella Madior Diouf étaient une belle occasion pour les médias de soutenir les droits des femmes en amplifiant, par une enquête sérieuse, sa voix et celles de centaines d’autres qui vivent une situation similaire ou auraient subi des agressions sexuelles et qui l’ont appelée pour partager leur vécu.

Force est de constater que, depuis l’éclatement de cette affaire, l’angle de traitement des médias demeure sensiblement le même. Les gros titres des journaux dépeignent ces “mauvaises” femmes comme des êtres aux mœurs légères, sans scrupules, de sorte que toute la faute est rejetée sur elles, encore une fois. Le refus de paternité, thème majoritairement traité, donc de responsabilité de l’homme de ses actes, l’est en jetant l’opprobre sur les femmes, et pis même, en faisant intervenir des experts masculins pour la plupart qui viendront expliquer soit d’un point de vue juridique ou religieux une situation qui concerne aussi bien les hommes que les femmes.

Cette démarche n’est nullement cohérente avec le devoir d’informer dans le respect des règles d’éthique et de déontologie. Un travail journalistique sérieux et engagé doit « centrer » les voix des premières concernées. La presse contribue à la socialisation des garçons et des filles, tout en fabriquant et reproduisant des modèles et rôles sociaux. Il serait donc important d’avoir des perspectives journalistiques qui contribuent à démarginaliser les groupes exclus et réduire les inégalités entre les femmes et les hommes à travers des représentations anti-oppressives.

Pour sensibiliser, il faudrait que les médias utilisent des mots plus justes dans la façon de représenter les femmes et qu’ils évitent de minimiser la souffrance des premières concernées par le silence, le sensationnalisme ou encore la banalisation de l’expérience. Un féminicide n’est pas un “drame conjugal”.

 Nous proposons que les groupes de presse fassent un travail de fond sur la suppression des stéréotypes, qu’on se questionne sur les choix des invité.e.s, que l’on déconstruise le climat sexiste qui autorise l’expression de propos discriminants sur les plateaux. Une telle démarche ne saurait se faire sans une formation approfondie sur les représentations sexuées des rôles et statuts sociaux et une réflexion sur les préjugés des médias en lien notamment avec la classe, l’origine, les opinions, les choix politiques, l’appartenance religieuse – et de réelles stratégies de prise en compte des voix de toutes.

Les signataires :
Pr Mame-Penda Ba UFR Sciences Juridiques et Politiques, Université Gaston Berger Directrice du LASPAD (Laboratoire d’Analyse des Sociétés et Pouvoirs/Afrique-Diaspora)
Dr Selly Ba, Sociologue
Dr Oumoul Khaïry Coulibaly, sociologue et spécialiste genre
Dr Halima Diallo, psychologue sociale et chargée de cours
Dr. Rama Salla DIENG Lecturer in African Studies and International Development, University of Edinburgh
Fatou Kiné Diouf, commissaire d’exposition indépendante
Ndèye Yacine Faye, Réseau des jeunes femmes leaders d’Afrique de l’Ouest et chargée de communication de Dafa Doy
Mariama Faye, Spécialiste en Sciences Sociales, Militante des droits des Femmes et membre d’Organisations de la Société Civile
Diakhoumba Gassama, juriste, membre des Forum Féministe Sénégalais et Africain et du conseil d’administration de l’Association pour les Droits des Femmes dans le Développement (AWID)
Marame Guèye, Ph.D., Associate Professor of African and African Diaspora Literatures and Gender, Department of English, East Carolina University
Marina Kabou, juriste, doctorante, membre de l’AJS, Coordinatrice du collectif DafaDoy
Ndèye Fatou Kane, Études sur le genre, EHESS Paris
Laïty Fary Ndiaye, sociologue, organisatrice communautaire, chercheure associée à l’Institut Simone de Beauvoir (Concordia University) et membre fondatrice du collectif Jàma
Daba Ndione, sociologue
Fatou Warkha Sambe, Militante pour le Respect des droits de femmes et fondatrice de WarkhaTv
Dr Fatou Sow, sociologue, ancienne chercheuse CNRS/UCAD
Khaïra THIAM psychologue clinicienne, spécialisée en pathologies psychiatriques et criminologie clinique
Maïmouna Eliane Thior, doctorante en sociologie

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A LA UNE

AVERROÈS – Le premier lycée musulman sous contrat en France, est menacé

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Fondé il y a 20 ans après l’interdiction du voile dans les lieux scolaires, Averroès, premier lycée musulman sous contrat en France, est menacé, un avis favorable à la résiliation de son contrat avec l’Etat ayant été rendu lundi .

novembre Une commission consultative présidée par le préfet du Nord a voté lundi en faveur de la résiliation du contrat d’association liant à l’Etat ce lycée musulman situé à Lille, la grande ville du nord de la France, ont indiqué à l’AFP deux sources proches du dossier, ce lundi 27 novembre 2023.

Selon les termes de ce contrat, signé en 2008, les enseignants de l’établissement sont rémunérés par l’Education nationale et le personnel parascolaire par la Région. Le dernier mot revient maintenant au préfet, qui doit prendre sa décision sur l’avenir de ce contrat « dans les prochains jours », a indiqué l’une des deux sources.

Depuis 2019, les autorités locales refusent de verser la subvention prévue dans le cadre de ce contrat avec l’Etat, reprochant notamment à Averroès un don qatari de 950.000 euros en 2014.

En filigrane est aussi pointé du doigt le lien historique d’Averroès avec les Musulmans de France (ex-UOIF), organisation issue du mouvement égyptien des Frères musulmans.

L’idée de créer un lycée musulman remonte à 1994, lorsque 19 jeunes filles sont exclues d’un lycée public lillois pour avoir refusé d’ôter leur voile pour aller en cours, malgré une circulaire interdisant les « signes religieux ostentatoires ».

Le lycée Averroès ouvre en septembre 2003 avec une quinzaine d’élèves dans des locaux de la mosquée du quartier populaire de Lille-Sud, avec le soutien de l’UOIF.

Avec plus de 800 élèves dont 400 sous contrat, Averroès reste de loin le plus gros des six établissements musulmans sous contrat de France. Seul le lycée est reconnu, pas le collège.  

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A LA UNE

CAMEROUN – Attaque meurtrière à Bamenyam

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Au Cameroun, une attaque meurtrière, mardi 21 novembre 2023 au matin, dans la région de l’ouest, à la frontière avec la région du Nord-Ouest. Des hommes armés à motos ont attaqué le marché de Bamenyam dans le département des Bamboutos. Neuf personnes ont été tuées, selon le préfet. L’attaque n’a pas été revendiquée mais les autorités locales pointent du doigt les séparatistes anglophones.

La trentaine d’assaillants, qui s’exprimait en anglais pidgin selon des témoins, est arrivée sur des motos, vêtue de treillis militaires. Les hommes ont pris pour cible des populations civiles présentes dans le marché, tuant neuf personnes. Une dizaine de personnes ont également été enlevées. On dénombre également des pertes matérielles dans la localité. Toujours selon des témoins, les assaillants ont incendié trois boutiques et un véhicule cargo et emporté plusieurs motos.
 
Psychose
La psychose s’est installée à Bamenyam depuis la tuerie, comme nous l’explique cet habitant qui a requis l’anonymat : « Ils ont semé la terreur. La population est en train de quitter le village et nous ne sommes pas sûrs si, dans les jours à venir, il y aura classe. Les enseignants ont peur d’accéder aux salles de cours. »
 
Pas de revendications
L’attaque n’a pas été revendiquée, mais, selon les autorités administratives locales, les assaillants seraient venus des localités du Nord-Ouest voisin miné par une crise qui dure depuis six ans entre les séparatistes anglophones et l’armée régulière. L’attaque de Bamenyam survient deux semaines après celle de Mamfe qui avait fait vingt-cinq morts, le 6 novembre 2023 dans la région du Sud-Ouest, selon le bilan officiel.

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ENVIRONNEMENT

LIBYE – Tempête Daniel : La communauté internationale s’organise pour envoyer de l’aide

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Les services de secours tentent de recenser le nombre de victimes causées par le passage de la tempête Daniel, dimanche 10 septembre 2023 sur la côte est du pays. Les pluies torrentielles et l’effondrement de deux barrages ont entraîné la destruction partielle de la ville de Derna, peuplée de 100 000 habitants. La communauté internationale s’organise pour apporter une aide d’urgence.

Des quartiers engloutis sous les eaux, des barrages qui ont rompu, des coulées de boue qui emportent des immeubles. La situation est dramatique en Libye, après les inondations provoquées par la tempête Daniel, dimanche dernier, dans l’est du pays.

Les services de secours libyens relevant du gouvernement de Tripoli, reconnu par la communauté internationale, ont publié un dernier bilan humain en milieu de journée. Selon leur porte-parole, Oussama Ali, la tempête a fait au moins 2 300 morts et 7 000 blessés rien que dans la ville de Derna, clairement la plus durement touchée.

Le gouvernement de l’est, rival de celui de Tripoli, avance un bilan encore plus lourd : il affirme que plus de 5 200 personnes ont péri à Derna. Le ministre de la Santé dit même s’attendre à un nombre de victimes deux fois plus important. Le bilan définitif demeure donc très incertain. La Fédération internationale des sociétés de la Croix-Rouge et du Croissant-Rouge reste prudente sur les chiffres, mais reconnait un nombre de morts « énorme » pouvant se compter en milliers. Elle estime à 10 000 le nombre de disparus. On compte aussi 65 autres morts dans d’autres villes de l’est de la Libye.

Un responsable de la FICR parle de besoins humanitaires qui dépassent largement les capacités de la Fédération, et même celles du gouvernement.

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